Cibler la douleur ou l’origine de la douleur ?
Nous avons déjà parlé des études qui montrent que les soins chiropratiques combinés à la neurostimulation ou autres thérapies peuvent être efficaces pour des céphalées y compris des migraines. Nos patients l’expriment et savent que nous mettons tout en oeuvre pour faire en sorte de corriger les problèmes et faire en sorte que le système nerveux réagisse mieux aux stimuli, qu’ils soient internes comme les changements hormonaux ou externes comme le stress !
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : par exemple dans le cas de migraines, le système nerveux affaibli et hypersensible (par exemple par irritation des nerfs au niveau cervical et effet sur le système trigémino-vasculaire), réagit de manière exagérée à un stimulus et déclenche des réactions nerveuses et vasculaires qui sont à l’origine des contractions musculaires, contractions vasculaires et puis relâchement vasculaire et déclenchement de la douleur et les symptômes associés.
Or, souvent le traitement proposé a été de réduire la douleur ou plus précisément la perception de la douleur : les différents anti-douleurs et anti-inflammatoires et les soi-disant traitements de fond qui ne sont que des anti-dépresseurs ne font effet qu’en provoquant des changements dans la perception de la douleur mais pas à ce qui en premier lieu a provoqué cette hypersensibilisation des nerfs et des cortex cérébraux.
Intérêt de la douleur
Nous connaissons tous l’intérêt de la douleur. C’est ce qui vous permet de ne pas brûler votre main quand vous vous approchez du feu. La douleur ressentie vous fait retirer la main avant que ce soit trop tard. C’est ce qui a fait que notre cerveau a appris de se méfier de certains aliments car par exemple cet aliment nous a provoqué des douleurs d’estomac ou douleur à la bouche la dernière fois que nous en avons consommé. Bref, le rôle de la douleur est de nous prévenir que quelque chose ne va pas et qu’il faut changer une habitude ou un comportement.
La douleur est un système d’alerte qui nous dit de faire une pause et de prêter attention à notre corps. Or nous ne prêtons plus attention à notre corps et ce qui se passe pour déclencher la douleur, on ne fait qu’éliminer la douleur !
Et si la douleur était plus qu’un simple système d’alarme ? Et si la douleur était une forme de protection en soi ?
C’est ce que suggère une étude récente publiée dans le journal Cell par des chercheurs de l’université de Harvard aux Etats-Unis.
Cette étude montre que les neurones de la douleur dans l’intestin de la souris régulent la sécrétion de mucus protecteur à tout instant (que ce soit dans les conditions normales ou anormales) et stimulent les cellules intestinales à libérer encore plus de mucus pendant les états d’inflammation. L’étude a montré que ces neurones de la douleurs s’engagent dans une communication directe avec les cellules intestinales contenant du mucus, appelées cellules caliciformes.
« Cela signifie que le système nerveux a un rôle majeur dans l’intestin au-delà du simple fait de nous donner une sensation désagréable et qu’il est un acteur clé dans le maintien de la barrière intestinale et un mécanisme de protection lors de l’inflammation. » a déclaré le chercheur principal de l’étude, Isaac Chiu, professeur agrégé d’immunobiologie à la faculté de médecine de Harvard.
La douleur et les CGRP
Les cellules caliciformes, qu’on trouve dans nos intestins et nos voies respiratoires, secretent du mucus semblable à un gel composé de protéines et de sucres qui agit comme un revêtement protecteur protégeant la surface des organes de l’abrasion et des dommages. Cette étude a a révélé que les cellules caliciformes libèrent du mucus protecteur lorsqu’elles sont déclenchées par une interaction directe avec les neurones sensibles à la douleur dans l’intestin.
Dans leurs expériences, les chercheurs de l’université de Harvard ont observé que les souris dépourvues de neurones de la douleur produisaient moins de mucus protecteur et subissaient donc des changements dans leur composition microbienne intestinale – un déséquilibre entre les microbes nocifs et bénéfiques appelé dysbiose.
Ils ont en outre découvert que des récepteurs appelés RAMP1 sur les surfaces des cellules caliciformes garantissent que les cellules peuvent répondre aux neurones de la douleur adjacents. Or lorsque ces neurones de la douleur sont stimulées, ils libèrent des produits chimiques (des peptides) appelés CGRP, qui se connectent à ces récepteurs RAMP1 présents dans les cellules caliciformes humaines et de souris, les rendant ainsi sensibles aux signaux de douleur.
De plus la présence de certains microbes intestinaux activait aussi la libération de CGRP pour maintenir l’homéostasie (l’équilibre) intestinale ! Cette découverte indique que ces nerfs sont déclenchés non seulement par une inflammation aiguë, mais aussi pendant une activité normale.
« Le simple fait d’avoir des microbes intestinaux réguliers semble chatouiller les nerfs et oblige les cellules caliciformes à libérer du mucus. » a déclaré le professeur Chiu.
Cette boucle de rétroaction, garantit que les microbes signalent aux neurones, que les neurones régulent le mucus et que le mucus maintient les microbes intestinaux en bonne santé.
Ce phénomène se produit donc avec la présence des microbes intestinaux mais aussi de la douleur. Quand les chercheurs ont administré un produit pour déclencher une douleur intense et aiguë chez les souris, les neurones de la douleur ont été rapidement activés et ont déclenché la libération abondante du mucus protecteur par les cellules caliciformes.
En revanche, les souris qui étaient dépourvues de neurones de la douleur ou de récepteurs des cellules caliciformes pour le CGRP étaient plus sensibles aux colites, une forme d’inflammation intestinale.
Fait intéressant, quand les chercheurs ont administré du CGRP pour signaler la douleur aux souris dépourvus de neurones de la douleur, ces derniers ont connu une amélioration rapide de la production de mucus. Le traitement a protégé les souris contre la colite.
La découverte de ces chercheurs démontre que le CGRP est un instigateur clé de la cascade de signalisation qui conduit à la sécrétion de mucus protecteur.
Un des chercheurs déclare : « La douleur est un symptôme courant des affections inflammatoires chroniques de l’intestin, telles que la colite, mais notre étude montre que la douleur aiguë joue également un rôle protecteur direct ».
Image Credit : Chiu Lab/Harvard Medical School / NeuroScienceNews.com, Unexpected Protective Properties of Pain, October 14, 2022
Suppression de la douleur ?
L’équipe a aussi montré que les souris dépourvues de récepteurs de la douleur présentaient des lésions plus graves dues à la colite lorsqu’elle se produisait.
Étant donné que les analgésiques sont souvent utilisés pour traiter les patients atteints de colite, il peut être important de considérer les conséquences néfastes possibles du blocage de la douleur, ont déclaré les chercheurs.
« L’un des principaux symptômes lorsqu’on souffre d’inflammation de l’intestin, est la douleur. Nous pourrions donc penser que nous voudrions traiter et bloquer la douleur pour soulager la souffrance », a déclaré le professeur Chiu. « Mais ce signal de douleur pourrait être directement protecteur en tant que réflexe neural, ce qui soulève des questions importantes sur la façon de gérer soigneusement la douleur d’une manière qui n’entraîne pas d’autres dommages. »
Les chercheurs pensent aussi qu’une classe de médicaments courants contre la migraine qui suppriment la sécrétion de CGRP peut endommager les tissus de la barrière intestinale en interférant avec cette signalisation protectrice de la douleur.
Le professeur Chiu a déclaré : « Étant donné que le CGRP est un médiateur de la fonction des cellules caliciformes et de la production de mucus, si nous bloquons de manière chronique ce mécanisme de protection chez les personnes souffrant de migraine et si elles prennent ces médicaments à long terme, que se passe-t-il ? Les médicaments vont-ils interférer avec la muqueuse et les microbiomes des gens? »
Les cellules caliciformes ont aussi plusieurs autres fonctions dans l’intestin : fournir un passage pour les antigènes ( qui sont les protéines présentes sur les virus et les bactéries et qui déclenchent une réponse immunitaire protectrice par le corps) et ils produisent des produits chimiques antimicrobiens qui protègent l’intestin des agents pathogènes.
« Une question qui découle de nos travaux actuels est de savoir si les fibres de la douleur régulent également ces autres fonctions des cellules caliciformes », a déclaré un des chercheurs.
Une autre piste de recherche, considérée par les chercheurs, consisterait à explorer les perturbations de la voie de signalisation du CGRP et à déterminer si des dysfonctionnements sont en jeu chez les patients présentant une prédisposition génétique aux maladies inflammatoires de l’intestin.
Qu’est-ce que cela implique pour les personnes souffrant de migraine ?
Ce n’est pas la première fois que je parle des effets secondaires des médicaments notamment les anti-douleurs. Tous les médicaments ont des effets secondaires. Ces effets sont à comparer avec leurs effets bénéfiques. Or le ratio risques/bénéfices pour un nouveau médicament n’est souvent connu que des années après son introduction.
D’autres études ont déjà montré les effets secondaires des anticorps monoclonaux anti-CGRP qui aujourd’hui sont demandés par de nombreux patients. Ces effets peuvent être plus ou moins importants. Mais surtout, à la lumière de cette étude et d’autres qui ont confirmé l’effet protecteur des CGRP, et les nombreuses connaissances aujourd’hui sur la relation entre intestin et cerveau et certaines maladies neuro-dégénératives, ne faudrait-il pas se poser des questions sur certains de ces effets secondaires ? Un effet secondaire aussi banal qu’un ballonnement ne peut-il pas le symptôme d’une dysbiose intestinale ? Et quels en sont les conséquences à long terme, comme se demandent ces chercheurs de l’université de Harvard ?
Et en tant que chiropracteur diplômé en neurologie chiropratique et voyant en priorité des patients souffrant de migraines, céphalées et vertiges, je me demande toujours pourquoi les patients ne connaissent pas plus les soins qui peuvent leur corriger les irritations qui sont souvent liées à leurs symptômes de la douleur, pour diminuer la fréquence et l’intensité de la douleur, plutôt que d’avoir recours à des procédés qui masquent la douleur ??? Il faut comprendre que les médicaments n’ont pas un effet local. Comme cette étude le montre; ainsi que d’autres études précedemment; l’effet de contrer le CGRP dans le corps est global. Le CGRP se trouve dans le système cardiovasculaire (par exemple pour éviter l’hypertension), dans les intestins comme nous venons de le voir, a un effet vasodilatateur pour éviter les ischémies, est présent dans l’hypophyse, etc.
Beaucoup de questions qui sont encore posées par les spécialistes et chercheurs malgré la mise sur le marché dans certains pays. Vous pourrez trouver certains de ces questions sur cette page par le Dr Lawrence Robbins, neurologue : En jeu : les effets secondaires possibles à long terme des antagonistes du CGRP.
Pour conclure, je ne suis pas contre les médicaments si on comprend l’efficacité du médicament et ses effets secondaires et qu’on comprend l’utilité à court terme pour réduire la douleur. Moi-même dans de rares occasions, ma fille avec ses études, pouvons être sujets aux céphalées (pas de migraine bien sûr) et je peux comprendre qu’on veuille supprimer la douleur sur le court terme. Et je compatis avec les personnes souffrant de migraines qui est sans rapport avec une céphalée et gâche de façon permanente la vie des migraineux. Mais il faut aussi comprendre qu’un médicament qui bloque la douleur, et agit sur les neurotransmetteurs our les récepteurs de ces derniers, agit aussi ailleurs sur le corps et la prise de ce genre de médicaments pose deux problèmes : combien de temps cela agira et quels sont les effets sur les autres organes à long terme ? Et comme je le disais tout à l’heure, en tant que praticien qui voit majoritairement des patients souffrant de migraines, pour qui nous arrivons à diminuer de façon significative la fréquence et/ou l’intensité des migraines, y a-t-il d’autres solutions qui ne posent pas autant de problèmes ailleurs ? La réponse est oui !
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Certains effets secondaires des anticorps monoclonaux anti-CGRP (inhibiteurs CGRP) : Certains rares, d’autres fréquents (notamment les effets secondaires gastro-intestinaux)
- Migraines : effectivement pour une partie des patients, les migraines se sont aggravées
- Ballonnement et changement de poids : possibilité de gain ou de perte de poids
- Constipation : un effet secondaire majeur
- Anxiété et dépression
- Perte de cheveux
- Douleurs articulaires
- Fatigue
- Troubles gastro-intestinaux notamment difficulté à cicatriser d’ulcère
- Auras
- …
Références :
- Yang D, Jacobson A, Meerschaert KA, Sifakis JJ, Wu M, Chen X, Yang T, Zhou Y, Anekal PV, Rucker RA, Sharma D, Sontheimer-Phelps A, Wu GS, Deng L, Anderson MD, Choi S, Neel D, Lee N, Kasper DL, Jabri B, Huh JR, Johansson M, Thiagarajah JR, Riesenfeld SJ, Chiu IM. Nociceptor neurons direct goblet cells via a CGRP-RAMP1 axis to drive mucus production and gut barrier protection. Cell. 2022 Oct 11:S0092-8674(22)01196-5.
- Boku K, Ohno T, Saeki T, Hayashi H, Hayashi I, Katori M, Murata T, Narumiya S, Saigenji K, Majima M. Adaptive cytoprotection mediated by prostaglandin I(2) is attributable to sensitization of CRGP-containing sensory nerves. Gastroenterology. 2001 Jan;120(1):134-43.
- Chung AM. Calcitonin gene-related peptide (CGRP): role in peripheral nerve regeneration. Rev Neurosci. 2018 Jun 27;29(4):369-376.
- Tringali G, Navarra P. Anti-CGRP and anti-CGRP receptor monoclonal antibodies as antimigraine agents. Potential differences in safety profile postulated on a pathophysiological basis. Peptides. 2019 Jun;116:16-21.
- Deen M, Correnti E, Kamm K, Kelderman T, Papetti L, Rubio-Beltrán E, Vigneri S, Edvinsson L, Maassen Van Den Brink A; European Headache Federation School of Advanced Studies (EHF-SAS). Blocking CGRP in migraine patients – a review of pros and cons. J Headache Pain. 2017 Sep 25;18(1):96.
- Haanes, K.A., Edvinsson, L. & Sams, A. Understanding side-effects of anti-CGRP and anti-CGRP receptor antibodies. J Headache Pain 21, 26 (2020).
- En jeu : les effets secondaires possibles à long terme des antagonistes du CGRP
- CGRP QUESTIONS/ANSWERS : Chicago headache cliniic