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Comme je l’ai expliqué dans plusieurs articles, le lien entre les problèmes au niveau de la nuque (notamment la raideur cervicale) et les maux de tête, notamment la migraine est bien démontré (voir le dernier article sur ce sujet). Et en pratique, depuis 30 ans que je vois des patients avec ces problèmes, je constate même un lien de causalité entre cette raideur cervicale et les migraines. Et c’est en travaillant sur cet aspect et en combinant avec de la neurostimulation qu’on arrive à aider les personnes souffrant de migraines et autres céphalées à beaucoup moins souffrir. 
Un autre lien que je retrouve souvent chez les patients migraineux, est le lien entre les troubles de la mâchoire et les maux de tête. Je vous propose donc un article très récent paru dans le British Dental Journal / Nature sur ce sujet. Un article un peu long, pour ceux qui veulent comprendre ce qui se passe :

Les pathologies de l’articulation temporel-mandibulaire ou SADAM

 

Les troubles de l’articulation temporo-mandibulaires, parfois appelés syndrome de SADAM (syndrome algo-dysfonctionnel de l’appareil mandicateur) designent des troubles musculo-squelettiques impliquant la douleur et / ou les limitations fonctionnelles dans les muscles de l’articulation temporo-mandibulaires (ATM) et les structures associées dans la région de la bouche et du visage. La condition est considérée comme la cause la plus courante de douleurs orofaciales non dentaires et comme la deuxième condition musculo-squelettique la plus courante.
Environ 40 à 70% de la population générale éprouve certains symptômes et signes de SADAM. Ces conditions sont trouvées plus souvent chez les femmes et apparaissent couramment entre les âges de 20 à 50 ans. Dans la littérature scientifique d’autres conditions ont été associé aux pathologies de l’articulation temporo-mandibulaire ou SADAM, comme le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie, les maux de tête, le syndrome du côlon irritable et les maux de dos chroniques.

 

La migraine et l’articulation temporo-mandibulaire et SADAM

 

La migraine est un sous-type de céphalées primaires manifestée par un trouble neurologique caractérisé par des attaques de maux de tête qui sont associées à des troubles du système nerveux autonome, tels que des nausées, une sensibilité accrue aux stimuli externes (photophobie, phonophobie) et, moins couramment, à l’hémiparèsie ou à aphasie. Les attaques de migraines durent généralement 4 à 72 heures. La migraine a un impact significatif sur la qualité de vie de l’individu et est classé par l’Organisation mondiale de la santé comme l’une des 20 maladies les plus débilitantes au monde.

La pathologie de l’articulation temporo-mandibulaire et la migraine sont toutes deux caractérisées par une douleur dans la tête et / ou le visage, et les deux conditions sont plus fréquentes chez les femmes, en particulier celles de l’âge de la procréation. Bien qu’il s’agisse de deux troubles complètement différents, leur chevauchement est fréquent, conduisant souvent à un diagnostic erroné ou à un sous-diagnostic de l’une ou l’autre pathologie. Plusieurs études ont exploré la prévalence de la comorbidité et la relation entre la migraine et le SADAM. À partir de ces études antérieures, il est raisonnable de suggérer que le SADAM et la migraine pourraient avoir une association bidirectionnelle. Le SADAM peut être la cause initiale des maux de tête et peut exacerber et aggraver les maux de tête existants; et les migraines peuvent très bien déclencher et aggraver le SADAM; ou ces deux affections peuvent être comorbides.

Cet article, parue dans le British Dental Journal affilié au prestigieux journal Nature, vise à explorer la relation entre le SADAM et la migraine, en se concentrant sur les aspects anatomiques et physiopathologiques.

 

Lien épidémiologique entre maux de tête et syndrome de SADAM

 

Des douleurs de la mâchoire ont été observées chez des patients souffrant de céphalées primaires ; une étude de population a révélé que 27 % des personnes souffrant de maux de tête (tout mal de tête primaire) souffraient de douleurs de la mâchoire. En outre, la prévalence des maux de tête était sensiblement plus élevée dans le groupe SADAM (72 %) que dans le groupe témoin (31 %). La migraine, en particulier, est le mal de tête le plus répandu dans la population souffrant de SADAM (55 %), suivie par les céphalées de tension (30 %). Les personnes atteintes de SADAM sont presque 3 fois plus  susceptibles de développer une migraine plus importante que celles sans SADAM. De plus, un nombre accru de symptômes de SADAM était associé avec une prévalence plus élevée de migraines et de maux de tête chroniques quotidiens.

Une des études parue en 2017 a révélé que la migraine et les maux de tête fréquents constituent un facteur de risque important pour le développement des premiers symptômes du SADAM. Il est intéressant de noter que le changement le plus remarquable est que la prévalence d’épisodes migraineux précis a été multipliée par dix dans le groupe SADAM. Le résultat de cette étude suggère un autre aspect de la relation entre le SADAM et la migraine, dans la mesure où la migraine en soi pourrait également être un facteur aggravant du SADAM.

Une étude précédente a exploré le rôle du SADAM dans le développement de la migraine et a rapporté que les symptômes fréquents du SADAM et les maux de tête fréquents étaient fortement associés, ce qui suggère que les troubles de la mâchoire pourraient être un facteur potentiel pour induire une migraine chronique. Une autre étude a rapporté que les patients migraineux atteints de SADAM sont 2 à 3 fois plus susceptibles de souffrir d’allodynie cutanée (la douleur survenant en raison de stimuli qui normalement ne sont pas douloureux). La douleur migraineuse, cependant, peut provoquer non seulement une douleur maxillaire (V2) et mandibulaire ( V3) des zones nerveuses, mais aussi de l’allodynie, source d’inconfort et de douleur qui sont probablement diagnostiquées à tort comme un SADAM.

 

Liens pahtophysiologiques entre migraines et troubles de la mâchoire

 

Liens anatomiques

 

La douleur migraineuse survient généralement dans la branche ophtalmique du nerf trijumeau (V1 : front) et irradie occasionnellement vers la branche V2 (milieu du visage) et V3 (bas du visage). Lors de l’apparition ou de la crise de migraine, de nombreux patients ressentent des douleurs spontanées au niveau des dents, des joues, des muscles masticateurs et de la région périauriculaire. De telles manifestations de migraine peuvent naturellement être diagnostiquées à tort comme une douleur provenant des dents, une sinusite ou un SADAM. Ce diagnostic erroné a également conduit à un traitement inapproprié, comme en témoignent les rapports de cas de patients migraineux traités par erreur comme des maux de dents, entraînant des extractions dentaires, ce qui, sans surprise, n’améliore pas la douleur.
Semblable à la répartition de la douleur migraineuse, la douleur de SADAM peut irradier largement dans les régions orofaciales et crâniennes. Une étude transversale a révélé que l’incidence des SADAM non diagnostiqués chez les patients souffrant de maux de tête était de 25 %. Parmi les céphalées primaires, l’incidence des SADAM était de 25 % plus élevée chez les patients migraineux par rapport aux autres diagnostics. Cela pourrait éventuellement suggérer que la douleur de l’ATM (L’articulation temporo-mandibulaire) pourrait être la cause de la douleur chez certains patients souffrant de maux de tête, étant donné la relation anatomique étroite entre les muscles de la mastication, l’ATM et la tête.

 

Sensibilisation périphérique et centrale

 

L’un des liens possibles entre la migraine et le SADAM est la sensibilisation périphérique et centrale.
Lorsqu’une lésion périphérique déclenche des signaux de douleur dans le nerf trijumeau (le nerf dont les trois branches V1, V2, V3 couvrent le visage), l’inflammation des tissus locaux libère des cytokines et des médiateurs pro-inflammatoires qui stimulent et amplifient la réponse douloureuse.
La sensibilisation périphérique diminue le seuil de dépolarisation des nerfs de sorte que les stimuli normaux sont perçus comme douloureux. C’est quand par exemple le toucher ou mâcher quelque chose peut déclencher une sensation de douleur quand normalement ce n’est pas un stimulus douloureux. La persistance de la douleur périphérique peut conduire à une sensibilisation centrale (cerveau et moelle épinière), entraînant une excitabilité accrue des voies centrales de la douleur. Ce qui fait qu’un stimulus anodin, comme la lumière, un bruit, une odeur déclenchent la sensation de douleur dans la tête, sur le visage, etc.
La sensibilisation centrale est la marque physiologique des syndromes douloureux persistants et est responsable des symptômes cliniques d’hyperalgésie et d’allodynie. Par conséquent, les stimulateurs normaux ou inférieurs au seuil de l’articulation temporel-mandibulaire et des structures associées peuvent devenir des facteurs induisant la migraine ou vice versa.

Un exemple marquant d’apport périphérique provenant des deux affections pourrait être l’apparition de douleurs myofasciales. L’implication de mécanismes myofasciaux dans les migraines a été rapportée dans plusieurs études. Il a été émis l’hypothèse qu’une contraction musculaire soutenue dans les trigger points myofaciaux (les noeuds dans les muscles du visage) entraîne une hypoxie (manque d’oxygènène) et ischémie, entraînant une augmentation des concentrations de médiateurs inflammatoires, tels que le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) et la substance P. Il semble que le « triggers points myofaciaux » dans le muscle masticateur soient courants dans les deux affections, le syndrome de SADAM et la migraine.

Plusieurs études ont montré une fréquence élevée des triggers pointes myofaciaux chez les personnes souffrant de migraine, pendant et après une crise de migraine. De plus, la palpation de ces noeuds musculaires peut même provoquer une crise de migraine chez certains migraineux. Cela indique que les personnes souffrant de migraines peuvent souffrir de myalgie (douleur musculaire) continue même après la disparition de leurs crises de migraine. Par conséquent, il existe une possibilité de diagnostiquer à tort les syndromes douloureux de la mâchoire (SADAM) d’origine musculaire chez les migraineux qui ne présentent actuellement aucun symptôme de migraine à ce moment-là.

Le mécanisme myofascial des migraines peut potentiellement être expliqué par un modèle ascendant (de la périphérie vers le système nerveux central) et descendant (du système nerveux central vers la périphérie). Dans le modèle ascendant, la transmission nociceptive périphérique sensibilise le système nerveux central, entraînant un seuil de douleur plus faible (douleur qui se déclenche plus facilement, une hypersensibilité). D’un autre côté, la sensibilisation centrale peut contribuer au développement de trigger points myofasciaux. Ces modèles peuvent aider à expliquer la myalgie constante chez les migraineux après une crise de migraine.

 

Excitation croisée dans le ganglion trijumeau

 

Le SADAM et la migraine peuvent se déclencher mutuellement car l’excitation d’une branche du nerf trijumeau active l’autre branche. Bien que la dure-mère soit principalement innervée par la branche V1 du nerf trijumeau, elle est également alimentée par les fibres méningées des branches V2 et V3. Par conséquent, la connexion anatomique de ces fibres peut jouer un rôle dans l’excitation croisée et expliquer pourquoi la douleur migraineuse peut se produisent dans les régions V2 et V3 (milieu et bs du visage).
Les afférences périphériques des tissus méningés (qui apportent les informations de la périphérie vers le système nerveux central), où se produisent les crises de migraine, et de la mâchoire se projettent vers le ganglion du nerf trijumeau. Les entrées nociceptives (information de l douleur) provenant des tissus intracrâniens et extracrâniens convergent dans le noyau caudal et se projettent ensuite vers le thalamus, le cortex et le système limbique. On peut donc émettre l’hypothèse que les entrées nociceptives de la périphérie (mâchoire et muscles masticateurs) pourraient déclencher les neurones associés à la migraine au niveau des noyaux du nerf trijumeau.

Il a été démontré que le dysfonctionnement neuromusculo-squelettique de la colonne cervicale contribue à la fois au SADAM et à la migraine via le complexe trigéminocervical. Le complexe trigéminocervical est une voie clé qui élucide la relation entre la partie supérieure du cou, l’ATM et le nerf trijumeau, et qui peut être associée à divers troubles de la nuque, du visage et de la tête. La convergence des voies nociceptives de la colonne cervicale supérieure et du système trijumeau permet de renvoyer les signaux de douleur provenant du cou vers les champs sensoriels réceptifs du trijumeau du visage et de la tête. Ainsi, non seulement la migraine est une comorbidité de la mâchoire, mais les douleurs cervicales et les céphalées cervicogéniques peuvent être un trouble non évitable qui devrait être pris en compte dans le traitement du SADAM.

 

Quelles solutions pour les migraines et le SADAM ?

 

Comme indiqué précédemment, l’objectif des soins dans notre cabinet est de rééduquer le système nerveux pour mieux gérer les stimuli et diminuer cette hypersensibilité nerveuse. Cet article est encore une démonstration du lien existant entre ce qui se passe au niveau cervical, la mâchoire et les migraines; tant au niveau de l’implication des différentes branches du nerf trijumeau qu’à celle du complexe trigéminocervical. Et c’est pour cette raison qu’après un examen clinique, le protocole de soins proposé comprend aussi bien des soins de Chiropraxie ciblés vers la colonne cervicale et l’articulation temporo-mandibulaire, que de la neurologie fonctionnelle, comprenant de la neurostimulation, des exercices proprioceptifs et parfois des exercices vestibulaires,… 

Références : 

 

  1. Yakkaphan P, Elias LA, Ravindranath PT, Renton T. Is painful temporomandibular disorder a real headache for many patients? Br Dent J. 2024 Mar;236(6):475-482.