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La céphalée de tension n’est pas qu’une simple contraction musculaire mais bien un trouble neurologique

 

Je vois et j’entends souvent que la migraine est une maladie neurologique ! C’est tout à fait vrai. Mais il faut comprendre que toute douleur, et plus particulièrement une douleur chronique, est un trouble neurologique ! La perception de la nociception se passe dans le cerveau ! Cela ne diminue en rien l’importance de la douleur et des symptômes subis par un migraineux que de dire que d’autres troubles aussi sont d’ordre neurologique et se passent dans le cerveau ! Une céphalée de tension; comme le montre bien cette étude ainsi que d’autres citées plus bas; est aussi une maladie neurologique et liée aux perturbations cérébrales ! Mais qui ne touche pas nécessairement les mêmes régions cérébrales, même si certaines régions sont touchées dans les deux maladies.

Les réseaux cérébraux perturbés dans les céphalées de tension : une étude par magnétoencéphalographie

 

Les céphalées de tension représentent le type de mal de tête le plus répandu dans le monde, affectant plus de deux milliards de personnes à travers la planète. Malgré cette prévalence considérable et leur impact substantiel sur la qualité de vie, les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent cette pathologie demeurent largement méconnus. Contrairement à la migraine, qui a fait l’objet de nombreuses études d’imagerie cérébrale, les céphalées de tension ont longtemps été considérées comme ne présentant pas d’anomalies spécifiques du système nerveux central. Cependant, des découvertes récentes suggèrent que des modifications subtiles dans l’organisation des réseaux cérébraux pourraient contribuer à leur physiopathologie. Une étude innovante menée par des chercheurs chinois de l’hôpital Tiantan de Pékin et publiée en 2025 apporte un éclairage inédit sur ces mécanismes grâce à une technologie de pointe.

 

Une méthodologie scientifique de pointe

 

Les chercheurs ont recruté 27 patients souffrant de céphalées de tension durant leur période interictale (c’est-à-dire en dehors des crises, au moins 24 heures après le dernier épisode douloureux) et 37 personnes en bonne santé, appariées en âge et en genre. L’activité cérébrale a été enregistrée au repos, les yeux fermés, pendant cinq minutes à l’aide d’un système de magnétoencéphalographie (MEG) comportant 306 capteurs. Cette technique d’imagerie sophistiquée présente des avantages uniques par rapport aux méthodes conventionnelles.

La MEG offre une résolution temporelle à la milliseconde et permet de capturer directement les oscillations neuronales dans l’espace des sources cérébrales. Contrairement à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) qui mesure des réponses hémodynamiques lentes, la MEG permet d’analyser directement la dynamique neuronale à travers différentes bandes de fréquences, chacune étant associée à des processus cognitifs et sensoriels spécifiques. Les chercheurs ont ainsi pu examiner l’activité cérébrale dans cinq bandes de fréquences distinctes : delta (1-4 Hz), thêta (4-8 Hz), alpha (8-13 Hz), bêta (13-30 Hz) et gamma (30-45 Hz).

L’analyse a été couplée à la théorie des graphes, une approche mathématique puissante qui permet de quantifier l’organisation topologique des réseaux cérébraux. Dans ce cadre, les régions cérébrales sont traitées comme des nœuds et les connexions fonctionnelles comme des arêtes d’un réseau complexe. Des mesures clés comme l’efficacité locale et globale, le coefficient de regroupement et les propriétés de « petit monde » permettent de capturer l’équilibre entre intégration et ségrégation au sein du réseau cérébral.

Des connexions cérébrales anormalement intenses et spécifiques

 

L’analyse statistique a révélé des altérations significatives de la connectivité fonctionnelle chez les patients souffrant de céphalées de tension. Une connectivité fonctionnelle accrue a été observée sur l’ensemble du spectre de fréquences (1-45 Hz), notamment entre le cortex somatomoteur droit et l’opercule frontal/insula droite, ainsi qu’entre les régions temporo-occipito-pariétales et les aires visuelles, cette dernière étant positivement corrélée avec les scores du test d’impact des céphalées (HIT-6).

Cette corrélation clinique est particulièrement révélatrice : elle suggère que plus l’hyperconnectivité entre les régions visuelles est importante, plus l’impact des maux de tête sur la vie quotidienne est sévère. Fait intéressant, bien que seulement 29,6% des patients aient rapporté une photophobie (sensibilité à la lumière), l’hyperconnectivité du réseau visuel était significativement augmentée et corrélée avec le handicap lié aux céphalées. Cela suggère que les altérations du réseau visuel peuvent contribuer au fardeau des maux de tête même en l’absence de symptômes photophobiques manifestes.

Des anomalies spécifiques selon les fréquences d’ondes cérébrales

 

L’un des apports majeurs de cette étude réside dans la mise en évidence d’altérations spécifiques à certaines bandes de fréquences. Dans les bandes delta (1-4 Hz) et thêta (4-8 Hz), des augmentations de connectivité ont été observées entre le cortex préfrontal gauche et le cortex orbitofrontal droit. Ces ondes lentes sont généralement associées aux processus cognitifs de haut niveau et à la régulation émotionnelle. Cette hyperconnectivité suggère une communication aberrante entre régions frontales et orbitofrontales, pouvant être liée à une dérégulation cognitivo-affective dans les céphalées chroniques.

Dans la bande thêta, une connectivité accrue a également été détectée entre le cortex somatomoteur et l’opercule frontal/insula, tandis que dans la bande bêta (13-30 Hz), l’hyperconnectivité entre les régions temporo-occipito-pariétales et visuelles était particulièrement marquée. Cette augmentation dans la bande bêta pourrait refléter une excitabilité corticale anormale ou un gain sensoriel excessif dans le système visuel, contribuant potentiellement à l’inconfort visuel ou à une charge sensorielle accrue.

L’insula, en particulier sa portion antérieure, joue un rôle crucial dans la perception de la douleur, la saillance émotionnelle et l’intéroception (la perception des sensations corporelles internes). Cette région a été impliquée à maintes reprises dans la migraine et les conditions de douleur chronique. L’augmentation de la connectivité dans cette région pourrait indiquer un traitement altéré de la douleur ou une vigilance accrue aux sensations somatiques chez les patients souffrant de céphalées de tension.

Le cortex orbitofrontal, quant à lui, est un nœud clé du réseau émotionnel et de récompense, impliqué dans l’évaluation de la composante affective de la douleur. Des études antérieures ont montré une activité altérée du cortex orbitofrontal à la fois dans la dépression et dans la douleur, l’impliquant dans la chronicité de l’inconfort et la réduction du tonus hédonique.

 

Une architecture cérébrale profondément réorganisée 

 

L’analyse par théorie des graphes a révélé des altérations répandues dans la topologie des réseaux cérébraux chez les patients, soulignant une perturbation de l’intégration et de la ségrégation dans les régions liées à la douleur. Les mesures nodales au sein du précunéus gauche et du cortex cingulaire postérieur ont montré des anomalies significatives, avec une centralité d’intermédiarité réduite mais paradoxalement un degré et une efficacité accrus.

Le précunéus et le cortex cingulaire postérieur constituent des noyaux centraux du réseau de mode par défaut, un ensemble de régions cérébrales cruciales pour l’attention dirigée vers l’intérieur et le traitement autoréférentiel. Des altérations dans ces régions ont été répétitivement associées à la douleur chronique et à la dérégulation attentionnelle. L’augmentation du degré et de l’efficacité dans les céphalées de tension pourrait refléter une hyperconnectivité compensatoire, tandis que la réduction de la centralité d’intermédiarité suggère un contrôle diminué sur le flux d’information à travers les systèmes distribués.

L’augmentation du coefficient de regroupement et de l’efficacité locale dans les cortex visuel droit et temporal suggère une ségrégation régionale accrue et une potentielle hypersynchronie dans les aires sensorielles. Des changements similaires ont été observés dans la migraine et sont considérés comme reflétant une altération du filtrage sensoriel et une réactivité visuelle accrue.

 

Des modifications globales de l’organisation cérébrale

 

Au niveau de l’organisation globale du cerveau, les résultats sont tout aussi révélateurs. Le groupe de patients souffrant de céphalées de tension présentait une efficacité locale et une « petitesse de monde » (gamma et sigma) significativement plus élevées, indiquant un déplacement vers un traitement local accru de l’information au détriment de l’intégration globale. Ce type de modification est couramment observé dans les conditions de douleur chronique et pourrait sous-tendre des difficultés à basculer entre états cognitifs ou à intégrer l’information multisensorielle.

 Le coefficient de regroupement était également significativement plus élevé dans le groupe de patients, tandis que la longueur du chemin le plus court restait comparable entre les groupes. L’absence de différences de groupe en matière d’efficacité globale et de longueur de chemin suggère que l’infrastructure de communication à grande échelle est préservée, mais que sa dynamique fonctionnelle est altérée.

Ces changements au niveau du réseau impliquent que les céphalées de tension sont associées à une réorganisation des propriétés topologiques clés, particulièrement dans les aires du mode par défaut, sensorielles et préfrontales, qui pourrait refléter une neuroplasticité mal adaptative en réponse à un afflux nociceptif soutenu.

 

Une latéralisation droite significative

 

Un aspect intéressant des résultats concerne la prédominance des anomalies dans l’hémisphère droit. Les patients présentaient une connectivité fonctionnelle à dominance droite, impliquant particulièrement les régions somatomotrices, insulaires et temporo-occipito-pariétales. Cette latéralisation pourrait refléter le rôle préférentiel de l’hémisphère droit dans le traitement de la douleur, la conscience intéroceptive et la modulation attentionnelle de l’input sensoriel. Des études antérieures ont souligné l’implication de l’insula droite dans la détection de la saillance et l’évaluation affective de la douleur.

 

Des implications cliniques prometteuses

 

Ces découvertes révolutionnent notre compréhension des céphalées de tension en démontrant qu’il ne s’agit pas simplement d’une tension musculaire locale, mais d’une condition impliquant des modifications complexes dans l’organisation même des réseaux cérébraux. La compréhension de ces perturbations réseau-dépendantes pourrait ouvrir la voie à de nouvelles approches thérapeutiques ciblant ces réseaux dysfonctionnels, notamment par neuromodulation ou interventions comportementales ciblées.

L’analyse par théorie des graphes combinée à la MEG pourrait également offrir des perspectives précieuses pour le développement de biomarqueurs basés sur les réseaux, permettant une meilleure caractérisation et un suivi plus précis de cette pathologie. Cette approche pourrait faciliter l’identification de sous-types de patients et guider des stratégies de traitement personnalisées.

En conclusion, cette étude représente l’une des premières tentatives de combiner la MEG avec la théorie des graphes pour caractériser systématiquement le dysfonctionnement au niveau du réseau dans les céphalées de tension, fournissant des aperçus nouveaux sur leur base neurophysiologique et ouvrant des perspectives thérapeutiques innovantes pour les millions de personnes affectées par cette condition débilitante.

 

D’autres études sur l’implication cérébrale dans céphalées de tension :

 

Comme je le disais au début, d’autres études aussi ont déjà établie le lien entre les céphalées de tension et le cerveau :

 

Études structurelles (volume de matière grise)

 

1. Schmidt-Wilcke et al. (2005) – Neurology

Les patients atteints de céphalées de tension chroniques montrent une diminution significative du volume de matière grise dans les régions impliquées dans le traitement de la douleur, suggérant que ces altérations sont spécifiques aux céphalées de tension chroniques plutôt qu’une simple réponse à la douleur céphalique chronique.

2. Chen et al. (2018) – Journal of Headache and Pain

Contrairement aux personnes en bonne santé, les patients souffrant de céphalées de tension présentent une augmentation du volume de matière grise dans le cortex cingulaire antérieur, le gyrus supramarginal, le pôle temporal, le cortex occipital latéral et le noyau caudé, avec une capacité discriminante excellente pour distinguer les céphalées de tension de la migraine.

Études de connectivité fonctionnelle (IRMf)

 

3. Zhao et al. (2025) – Headache Journal

Les patients atteints de céphalées de tension présentent une connectivité fonctionnelle cérébrale anormale par rapport aux témoins sains, avec des perturbations du réseau de mode par défaut et des altérations dans les régions associées au traitement de la douleur.

4. Wang et al. (2025) – BMC Medical Imaging

Cette étude rétrospective par IRMf au repos a examiné les altérations de connectivité fonctionnelle au niveau du réseau cérébral chez les patients souffrant de céphalées de tension à travers plusieurs bandes de fréquences, démontrant que les changements de connectivité fonctionnelle sont dépendants de la fréquence et liés au traitement de la douleur.

5. Zhang et al. (2024) – Brain Imaging and Behavior

En utilisant la méthode de centralité de degré voxel par voxel et l’analyse de connectivité fonctionnelle, cette étude a identifié des schémas anormaux de connectivité fonctionnelle intrinsèque chez 33 patients atteints de céphalées de tension, révélant des altérations dans les hubs de connectivité fonctionnelle locale. 

6. Li et al. (2021) – Frontiers in Neuroscience

Cette étude IRMf au repos a trouvé une activité cérébrale fonctionnelle intrinsèque anormale chez les patients atteints de céphalées de tension épisodiques, avec une augmentation de l’amplitude des fluctuations de basse fréquence dans l’insula postérieure et antérieure droite, et une corrélation négative avec la fréquence des crises.

 

Études combinées et revues

 

7. Zhou et al. (2020) – Medicine (protocole de revue systématique)

Les études de neuroimagerie ont rapporté que les patients atteints de céphalées de tension présentent une fonction cérébrale anormale, une intensité et un volume de matière grise altérés, ainsi qu’un suivi altéré de la matière blanche, bien que les résultats ne soient pas entièrement cohérents entre les études.

8. May et al. (2006) – Journal of Headache and Pain

Cette revue d’imagerie fonctionnelle indique que les patients atteints de céphalées de tension chroniques démontrent une diminution significative de la matière grise dans les régions impliquées dans le traitement de la douleur, suggérant que la plupart des syndromes de céphalées primaires sont principalement déclenchés par le cerveau. 

Ces études convergent vers la conclusion que les céphalées de tension ne sont pas simplement un problème musculaire périphérique, mais impliquent des modifications structurelles et fonctionnelles significatives du cerveau, particulièrement dans les régions liées au traitement de la douleur, à l’attention et à la régulation émotionnelle.

 

 Quel traitement pour les céphalées de tension dans notre centre ?

 

Dans notre centre, le traitement des céphalées de tension passe par une combinaison des soins chiropratiques qui ont montré leur efficacité pour ces céphalées et de la neurologie fonctionnelle qui comprend de la neurostimulation, y compris la stimulation du nerf vague, des exercices vestibulaires et oculomoteurs si nécessaire, des exercices de posture notamment concernant la raideur cervicale qui est souvent liée aux céphalées primaires et de la photobiomodulation (laser froid). 

 

Références :

  1. Xiong Z, Qiu D, Liang J, et al. Disrupted functional network topology in tension-type headache: A cross-sectional magnetoencephalography study. Cephalalgia. 2025;45(10). doi:10.1177/03331024251386425
  2. Schmidt-Wilcke T, Leinisch E, Straube A, Kämpfe N, Draganski B, Diener HC, Bogdahn U, May A. Gray matter decrease in patients with chronic tension type headache. Neurology. 2005 Nov 8;65(9):1483-6.
  3. Chen, WT., Chou, KH., Lee, PL. et al. Comparison of gray matter volume between migraine and “strict-criteria” tension-type headache. J Headache Pain 19, 4 (2018).
  4. Zhao M, Chen L, Cheng Z, Wang X, Zhang S, Li M, Hao Z, Sun X, Zhang J, Yu Y, Ren J, Jia X. Altered brain functional connectivity in patients with tension-type headache. Headache. 2025 Feb;65(2):216-229.
  5. Wang, J., Shen, H., Xu, Q. et al. Functional connectivity across multi-frequency bands in patients with tension-type headache: a resting-state fMRI retrospective study. BMC Med Imaging 25, 145 (2025).
  6. Li MT, Zhang SX, Li X, Antwi CO, Sun JW, Wang C, Sun XH, Jia XZ, Ren J. Amplitude of Low-Frequency Fluctuation in Multiple Frequency Bands in Tension-Type Headache Patients: A Resting-State Functional Magnetic Resonance Imaging Study. Front Neurosci. 2021 Oct 25;15:742973.
  7. Qiu D, Ge Z, Mei Y, Wang W, Xiong Z, Li X, Yuan Z, Zhang P, Zhang M, Liu X, Zhang Y, Yu X, Tang H, Wang Y. Mapping brain functional networks topological characteristics in new daily persistent headache: a magnetoencephalography study. J Headache Pain. 2023 Dec 6;24(1):161.
  8. Zhou J, Cheng S, Yang H, Lan L, Chen Y, Xu G, Yin Z, Li Z, Liu M. The brain structure and function alterations in tension-type headache: A protocol for systematic review and meta analysis. Medicine (Baltimore). 2020 Jun 12;99(24):e20411.
  9. Holle D, Obermann M. The role of neuroimaging in the diagnosis of headache disorders. Ther Adv Neurol Disord. 2013 Nov;6(6):369-74.
  10. De Benedittis G, Lorenzetti A, Sina C, Bernasconi V. Magnetic resonance imaging in migraine and tension-type headache. Headache. 1995 May;35(5):264-8.